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Une catastrophe humaine et environnementale : le vrai coût des roses de la Saint-Valentin

https://www.lesoir.be/654574/article/2025-02-11/une-catastrophe-humaine-et-environnementale-le-vrai-cout-des-roses-de-la-saint

Chaque année, à l’occasion de la Saint-Valentin, des millions de roses rouges sont offertes à travers le monde. Un geste symbolique censé exprimer l’amour. Mais son revers est nettement moins noble sur le plan humain et environnemental.

Par Anne-Sophie Leurquin            Publié le 11/02/2025

Des millions de roses sont échangées dans le monde le jour de la Saint-Valentin pour symboliser l’amour. Une tradition rentable pour les fleuristes qui réalisent à la mi-février environ 25 % de leur chiffre d’affaires annuel. Un marketing bien huilé aussi, à grand renfort de cœurs affichés sur les vitrines, disséminés dans les travées des supermarchés et ancrés dans l’inconscient collectif.

« Dites-le avec des fleurs. » Derrière cet usage romantico-kitsch se cache une réalité beaucoup moins glamour : le coût écologique et humain catastrophique de la production et de la distribution de roses en février. Comme le soulignait récemment Hortense Harang, fondatrice du label Fleurs d’ici, au micro de France Inter, un bouquet de 25 roses importées a un impact carbone comparable à celui d’un vol Paris Londres.

Un bouquet de 25 roses importées a un impact carbone comparable à celui d’un vol Paris Londres

Un bilan écologique lourd qui résulte non seulement du transport aérien, mais aussi de l’usage massif de pesticides, sans oublier les conditions de production et de conservation dans des serres surchauffées, en Equateur, au Kenya ou en Ethiopie, où sont cultivées 85 % des roses vendues dans le monde en février.

Des fleurs locales pour une Saint-Valentin plus verte

Car, comme les fraises, les roses éclosent leur robe de pourpre au soleil et ne poussent pas en hiver sous nos latitudes, où leur floraison s’étend plutôt de mai à novembre environ. « On a imposé l’idée qu’il fallait des roses à la Saint-Valentin, alors qu’il existe des fleurs locales et de saison tout aussi belles », soulève Hortense Harang. Et de citer les pompons odorants du mimosa, les anémones, les renoncules, ou encore les hellébores.

En Belgique, quelques éco-fleuristes ont également fait ce choix de la proximité en vendant des fleurs locales (ou à tout le moins européennes) et de saison, comme Amandine Maziers (Haut les cœurs, à Etterbeek), Hortense Toussaint (Horty Poetry, à Forest), Juliette et Ophélie (Maurice, à Saint-Gilles), Simone ses fleurs (Ixelles), Versus (Bruxelles), Petit Mousse (Bruxelles), Ness (Boeket de fleurs, à Rhode-Saint-Genèse), Ginger Flower (Liège), Hélène Wilmotte (Cueillette buissonnière, Rèves) pour n’en citer que quelques-uns.

On a imposé l’idée qu’il fallait des roses à la Saint-Valentin, alors qu’il existe des fleurs locales et de saison tout aussi belles

Hortense Harang, Fondatrice du label Fleurs d’Ici

Outre les milliers de kilomètres qu’elles parcourent par avion-cargo depuis l’Amérique du Sud ou l’Afrique, où elles sont cultivées dans des conditions de travail déplorables, les roses offertes à la Saint-Valentin ont aussi un coût humain qui broie des vies, comme l’illustre le romancier Oscar Coop-Phane dans Rose nuit (Grasset), en entremêlant les destins d’une productrice, d’un revendeur de fleurs à la sauvette et d’un acheteur.

«Pétales toxiques»

Les pesticides utilisés pour accélérer la floraison et le rendement appauvrissent non seulement les sols, mais ils minent aussi la santé des productrices (puisqu’il s’agit souvent de femmes), des fleuristes et, si elles sont enceintes, la santé du bébé qu’elles portent. En France, Emmy, morte à 11 ans d’une leucémie liée à l’exposition de sa mère, alors fleuriste, aux pesticides pendant sa grossesse, a ainsi été le premier enfant à être reconnue par le Fonds d’indemnisation des victimes de pesticides (FIVP).

Le magazine Que Choisir a envoyé en laboratoire «15 bouquets de roses, gerberas et chrysanthèmes achetés en boutique, en grande distribution et en ligne». Verdict: «100 % des fleurs testées sont contaminées aux pesticides», dont certains sont interdits en Europe. L’enquête «Pétales toxiques», publiée ce vendredi, a ainsi «identifié dans chaque bouquet entre 7 et 46 résidus de pesticides différents», détaille l’enquête. Parmi ces pesticides, «près de 12, en moyenne, présentent possiblement ou certainement un danger pour la santé», alerte l’association. Dans un communiqué, UFC Que Choisir qui défend les consommateurs a souligné une « mise en péril » de ceux qui manipulent ces bouquets, les acheteurs comme les professionnels. Le magazine a donc exigé des « mesures immédiates pour protéger la santé publique et l’environnement », indiquent nos confrères du Parisien..

Des pesticides à foison, pas de réglementation

S’il n’existe actuellement pas de réglementation imposant une limite maximale de résidus de pesticides pour les fleurs ornementales, contrairement aux denrées alimentaires, plusieurs scientifiques ont passé les bouquets au scalpel pour évaluer la situation. Une étude publiée dans Environmental Pollution en 2021 a ainsi détecté 200 pesticides utilisés pour la production et la conservation de fleurs, dont 93 interdits dans l’Union européenne. Une autre étude de l’ULiège, publiée en 2018 dans la revue Human and Ecological Risk Assessment et qui continue de faire référence, a ainsi révélé la présence de résidus de pesticides sur les mains et dans l’urine d’une quarantaine de fleuristes belges.

Les fleuristes sont exposés à un cocktail de pesticides bien plus dangereux que les agriculteurs, avec des substances interdites en Europe présentes sur chaque bouquet

Bruno Schiffers, Professeur honoraire à l’ULiège

Ces résultats ont conduit à une prise de conscience et à la mise en place de nouvelles mesures de sécurité, selon Be-Florist, l’association professionnelle belge des fleuristes. « Le port de gants est désormais recommandé », affirme Koen Van Malderen, son directeur. Il n’empêche, comme le relève Bruno Schiffers, professeur honoraire à l’ULiège, « les fleuristes sont exposés à un cocktail de pesticides bien plus dangereux que les agriculteurs, avec des substances interdites en Europe présentes sur chaque bouquet ».

En février 2022, la branche néerlandaise du réseau Pesticide Action Network a écrit à la Commission européenne pour lui demander d’interdire l’importation de fleurs et de plantes ornementales contenant des pesticides interdits et d’établir des limites maximales de résidus, rappelle Le Monde. Une consultation sur cette question a été menée dans la foulée auprès des Etats membres, mais « aucun n’a demandé à la Commission d’élaborer une législation visant à réglementer la présence de pesticides dans les fleurs ».

Les certifications actuelles ne garantissent ni l’absence de pesticides, ni le respect d’un cahier des charges strict. Nos collègues de la RTBF, dans l’émission On n’est pas des pigeons, ont ainsi révélé que même les roses prétendument bio qu’ils ont fait analyser par un spécialiste contenaient encore quinze substances actives, dont deux interdites, tandis que les roses éthiopiennes présentaient 21 substances, parmi lesquelles quatre sont prohibées en Europe.

En France, à la suite de la reconnaissance du lien de causalité entre l’exposition in utero d’Emmy, l’Anses (l’Agence nationale de la sécurité sanitaire) a tout récemment été chargée par le gouvernement de mener une expertise auprès des fleuristes afin d’évaluer leur exposition aux pesticides et de faire évoluer la législation. Le verdict sera rendu dans deux ans environ. Mais nul besoin de l’attendre pour déclarer son amour autrement qu’avec des fleurs empoisonnées.

Bouquet suggéré par Détente Jardin : Calla, Tulipe, Mimosa, Renoncule, Scabieuse

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