Cultures | Publié le 28/01/2022 à 12:30
À Sombreffe, Mathieu Devos et Pierre-Henri Beguin produisent du purin d’ortie. Cette solution alternative aux effets fertilisants mais également fongicides et insecticides est le fruit de plusieurs années de recherche.
Á l’origine de la solution Purtica, on trouve tout d’abord Christian Marche, directeur du Centre des Technologies Agronomiques (CTA) de Strée. Ce dernier a travaillé durant toute sa carrière sur l’ortie et ses dérivés. « Monsieur Marche a échantillonné et testé de nombreuses variétés d’orties. Son programme a abouti au développement d’une variété d’ortie cultivable et riche en éléments nutritifs. », explique Mathieu.
À la suite de ces recherches, une société spécialisée dans la production d’orties a été créée : « C’est à ce moment que mon papa, Georges Beguin et deux autres agriculteurs, Christian Pauwels et la Ferme d’Enée sont entrés dans le projet et ont commencé à cultiver l’ortie », dit Pierre-Henri. Lorsque Christian Marche explique ses travaux parallèles sur le purin d’ortie à Georges Beguin, celui-ci se montre encore plus intéressé. « En effet, en tant que producteur de plants de pommes de terre, il voit le nombre de solutions de lutte contre les pucerons se réduire alors que le contrôle des viroses est essentiel dans cette branche. Le purin d’ortie pouvant apporter une éclaircie, il était logique pour lui de s’investir dans son développement et de s’assurer que d’autres solutions puissent être envisagées ».
De la culture d’ortie à la production de purin
Des essais sont donc menés dans ce sens dès l’implantation des premiers champs en 2017. Ceux-ci mettent en évidence une action sur pucerons mais également un effet significatif sur le rendement. Il n’en fallait pas moins pour convaincre la petite équipe d’initier un projet de production de purin d’ortie, naît ainsi Agripur sous l’impulsion de Georges et Pierre-Henri Beguin, Mathieu Devos, Christian Marche et Christian Pauwels.
Les installations de production du purin prennent place dans les bâtiments de la famille Beguin à Sombreffe. Le concept de fabrication est en soit particulier car il permet de contrecarrer le principal défaut du purin d’ortie : son manque de stabilité. « Le purin d’ortie à tendance à se détériorer et déformer le packaging. Monsieur Marche à travailler sur un processus qui permet de diminuer ce défaut».
En 2017, sous l’impulsion de l’ITAB (Institut de l’agriculture et l’alimentation biologiques), l’Europe a reconnu l’ortie (Urtica dioica) pour ses propriétés fongicides, insecticides et acaricides et a facilité sa mise sur le marché via la reconnaissance comme «substance de base».
Une culture permanente
Une quinzaine d’hectares ont été emblavés en ortie. « La plante a été repiquée et elle reste en place d’année en année. Au printemps, on réalise une première fauche d’entretien laissée sur place pour éliminer les mauvaises herbes. L’ortie reprend alors le dessus. Selon l’année, on peut réaliser 2 à 4 récoltes. La fauche a lieu juste avant la floraison, au moment où la plante est la plus riche en protéines. À la récolte, les orties sont directement séchées et conditionnées sous forme de pellets. « Ce sont ces pellets que nous récupérons pour faire le purin d’ortie mais ils sont aussi utilisés comme complément dans l’alimentation des chevaux. D’autres idées de valorisation sont encore à développer, par exemple en tant qu’amendement organique. Ça pourrait être une bonne solution en agriculture biologique, mais il faut un certain temps pour la réhydratation des pellets et la libération des éléments ».
Les pellets arrivent broyés pour faciliter leur incorporation. Ils entrent alors dans la chaîne de fabrication. Celle-ci est composée de quatre cuves en ligne. La première permet la macération. Les pellets sont incorporés à l’eau et macèrent durant une semaine. « La température des cuves est régulée, ce qui assure une température et une production constantes tout au long de l’année ». Le liquide est ensuite filtré : « Pour un bon compromis entre la finesse du produit et le maintien d’une certaine quantité de matière sèche, nous nous sommes fixés sur un maillage de 50 microns, ce qui permet de ne pas boucher les buses des pulvérisateurs ».
Le déchet de filtration n’est pour l’instant pas valorisé en tant que tel car il ne représente qu’une quinzaine de tonnes par an, « mais il est assez riche et il pourrait permettre d’enrichir du terreau ».
« En général, la production de purin d’ortie s’arrête à cette étape de filtration, mais la particularité d’Agripur et du Purtica réside dans le contrôle de la fermentation. Ce processus a lieu dans les cuves suivantes. Le produit stabilisé est ensuite stocké dans la dernière cuve d’attente et est conditionné en bidons de 1l, 5l, 20l ou en cubis de 300 l et 1.000l ».
Purtica est issu de la macération et de la fermentation d’orties cultivées dans la région de Namur et du Brabant wallon. – D.J.
Un engrais universel fongicide et insecticide
Résulte de cette transformation un engrais universel mais qui offre également une protection contre des ravageurs tels que les pucerons ou acariens et contre les maladies (oïdium, mildiou, fonte des semis) grâce à ses propriétés insecticides, acaricides et fongicides.
Le Purtica peut être utilisé aussi bien en cultures de fruits et légumes et grandes cultures qu’en plantes ornementales, sur gazon ou arbres. Il peut être appliqué de mars à novembre en arrosage ou pulvérisation foliaire avec une répétition des traitements tous les 2 à 15 jours suivant les pathogènes et ravageurs observés. La récolte se fait minimum 7 jours après application. « Chez les particuliers, l’application se fait par arrosage ou pulvérisation mais chez l’agriculteur, on est d’office sur la pulvérisation. La dilution se fait à 1 pour 5 jusqu’à 1 pour 10, ça dépend de la fréquence de passage, quand celle-ci est plus élevée on réduit la dose.
Agripur continue à mener des essais afin d’affiner son conseil : « L’idée est de réfléchir au coût/avantage, de développer des synergies et de préciser nos recommandations. Il s’agit d’un produit naturel, pour avoir un effet significatif son application doit être préventive et régulière, ce n’est pas toujours facile à positionner ou rentabiliser en fonction de la culture et, c’est pour ça qu’il est intéressant de penser à des associations. Purtica est par exemple plus facile à utiliser en pomme de terre car on y revient souvent. Des synergies ont pu être mises en évidence avec la solution de biocontrôle Vazyl. Cela permet de bypasser certains traitements chimiques ou de réduire la dose de cuivre utilisée en agriculture biologique. On recommande alors de passer dès que la pomme de terre fait une petite salade, tous les 3 jours, puis 5 et 7 jours. En betteraves, ça peut être un bon boost après un stress. On peut aussi l’envisager pour un entretien des plantes environnementales. Les usages sont vraiment multiples en fonction de ce qu’on rencontre. »
En direct et en magasins
Pour la distribution du produit, Agripur a pu compter sur la société Armosa dès ses débuts : « L’entreprise distribue des biocides et notre purin vient compléter leur gamme de substances de base. Cette garantie de collaboration était un soutien important pour commencer».
Armosa permet la distribution vers les particuliers mais Agripur s’y est aussi mis avec sa propre marque qui est même prête à conquérir la Flandre. Pour le secteur agricole et maraîcher, la distribution se fait en direct. Le produit peut être retiré conditionné ou en vrac. « Mais nous travaillions à étendre notre réseau de distribution car nous sommes d’abord producteurs avant d’être commerciaux. Belcanthus qui propose un paillage de miscanthus propose par exemple notre purin dans son portefeuille de produits. Son gérant, Benoît Lempereur poursuit vraiment la même philosophie que nous, c’est-à-dire proposer un éventail de produits complémentaires qui permettent aussi de rationaliser les coûts. Il y a moyen d’être plus forts en offrant des solutions multiples et globales. À l’avenir, on espère aussi convaincre d’autres cibles que l’agricole : les espaces verts, les golfs, les communes…, on croit en ces possibilités ».
L’ortie mais encore…
« On ne propose pas une solution miracle mais une solution d’avenir qui demande de revoir sa manière de travailler, de faire de la prévention plutôt que de l’action et de penser à grouper des produits. L’ortie c’est le début, il y existe plein d’autres substances de base intéressantes et des associations à envisager. De même pour les coproduits de la fabrication du purin. On a encore toute une série de portes à ouvrir mais notre souhait pour l’instant est de stabiliser nos activités », concluent les deux associés.
D. Jaunard